Par Ludovic Galtier Lloret Journaliste
Né en Isère entre le tirage de la première boule noire de l'histoire de "Motus" - "Oh-ohohohoh" - et la première visite de candidats à "Fort Boyard", Ludovic Galtier est journaliste à Puremédias depuis octobre 2021. Il est passionné par la politique, l'économie des médias et leur stratégie de programmation.
'Face au pouvoir, les 100 ans du Canard Enchaîné' (1/2) © Abaca
Délégué syndical du SNJ-CGT, Christophe Nobili a été mis à pied en avril pour avoir révélé l'existence d'un emploi fictif présumé au sein de la rédaction du "Canard enchaîné". Depuis, la direction a tenté de se séparer du journaliste protégé par le droit du travail. En vain.

Ubuesque. "Médiapart" a révélé, ce lundi 9 octobre 2023, que la direction des éditions Maréchal, éditrice du "Canard enchaîné", a saisi, le 29 septembre, Olivier Dussopt, l'actuel ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, pour licencier Christophe Nobili, l'un de ses journalistes d'investigation, auteur, par ailleurs d'un livre qui a déplu à ses patrons. Motif invoqué par la direction dans un courrier interne adressé aux salariés et que "Médiapart" a pu consulter : les "très importants délais de jugement, qui se comptent en années en cas de recours contentieux devant les juridictions administratives".

"Un recours hiérarchique normal"

Le conflit ouvert entre la direction du "Canard" et Christophe Nobili a donc pris un nouveau tournant avec cette saisie du ministre. Le directeur délégué du journal satirique, Jean-François Julliard, interrogé par "Médiapart", défend l'utilisation d'un "recours hiérarchique normal, conforme à la loi votée par le Parlement".

Un recours parce que le droit du travail avait jusqu'ici donné tort à Jean-François Julliard. L'inspection du travail a, en effet, refusé par deux fois ces derniers mois le licenciement du salarié protégé du fait de ces fonctions de délégué syndical au SNJ-CGT et d'élu au comité social et économique (CSE). "Des indices importants permettent d'établir qu'il existe un lien entre la demande de licenciement et les mandats du salarié", a écrit l'inspectrice d'une unité de contrôle parisienne dans son rapport de synthèse, consulté par "Médiapart".

Seul le ministre du Travail a le pouvoir de revenir sur cette décision, dont le sens et les termes sont "vivement" contestés par le conseil d'administration de l'hebdomadaire. Ce dernier explique que cette décision "remet en cause de façon infondée la validité de la charte de déontologie du 'Canard'" et refuse de voir le "grave discrédit lancé publiquement" par le livre de Christophe Nobili.

Le caillou dans la chaussure de la direction du "Canard enchaîné"

À l'origine de la révélation du volet emplois fictifs de l'affaire Fillon – pour lequel le candidat Les Républicains à l'élection présidentielle 2017 a été condamné en première instance en 2020 et en appel en 2022 – Christophe Nobili a également tiré dans les pattes de la direction du "Canard" qu'il accuse dans un livre d'avoir financé... un emploi fictif. Il a été mis à pied en avril dernier.

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Dans "Cher Canard - De l'affaire Fillon à celle du 'Canard Enchaîné'", clin d'oeil à "Cher connard" de Virginie Despentes, Christophe Nobili, placé sous le statut de lanceur d'alerte, règle ses comptes avec sa direction - Nicolas Brimo et Michel Gaillard en prennent pour leur grade - mais explique surtout comment il a découvert qu'Édith Vandendaele, compagne d'André Escaro, auteur des cabochons de la page 2 - celle qui abrite "La mare aux canards" - et ex-administrateur du journal, avait été payée pendant près d'un quart de siècle et jusqu'en 2020 sans jamais avoir travaillé pour "Le canard".

Selon les calculs du journaliste, Édith Vandendaele aurait coûté 3 millions d'euros à l'entreprise, qui dément les allégations du journaliste. Si elle reconnaît un montage financier qui "peut paraître acrobatique", elle nie toute infraction pénale. Christophe Nobili avait déposé plainte en mai 2022 auprès du tribunal judiciaire, à la suite de quoi la procureure de la République de Paris a ouvert une enquête pour "abus de biens sociaux" et "recel". Les investigations sont toujours en cours.