Par Ludovic Galtier Lloret Journaliste
Né en Isère entre le tirage de la première boule noire de l'histoire de "Motus" - "Oh-ohohohoh" - et la première visite de candidats à "Fort Boyard", Ludovic Galtier est journaliste à Puremédias depuis octobre 2021. Il est passionné par la politique, l'économie des médias et leur stratégie de programmation.
Rodolphe Saadé
La CMA CGM reproche à Aurélien Viers, directeur de la rédaction de "La Provence", d'avoir mis en exergue en Une du journal la déception des habitants de La Castellane, après la visite éclair et très médiatique d'Emmanuel Macron ce mercredi 20 mars 2024 à Marseille.

Une image déjà écornée. Rodolphe Saadé aurait pesé de tout son poids cette semaine dans la mise à pied d'une durée de sept jours d'Aurélien Viers, directeur de la rédaction de "La Provence", propriété du milliardaire, selon des éléments recoupés et relayés, ce vendredi 22 mars 2024, par "Télérama" , "La lettre A" , "Marsactu" ou encore "Le Monde". Cette décision intervient trois jours après que Rodolphe Saadé a développé sa vision toute relative de l'indépendance d'une rédaction vis-à-vis des intérêts privés de son actionnaire dans les couloirs de BFMTV et RMC, dont il prendra possession au début de l'été 2024.

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"Il est parti, et nous on est toujours là..."

Dans cette affaire, le patron de la CMA CGM reprocherait à Aurélien Viers d'avoir mis en exergue en Une du journal la déception des habitants de La Castellane, quartier de Marseille, après la visite éclair et très médiatique d'Emmanuel Macron pour accompagner une opération de police contre le trafic de drogue. Le président de la République a décliné ses propositions en la matière dans "Place nette XXL", un plan au titre choc.

"Il est parti, et nous, on est toujours là", était ainsi inscrit en Une de "La Provence", qui a donné la parole aux habitants de la cité dans son édition du 21 mars 2024. Jugée "choquante" par Christophe Madrolle, conseiller régional passé par EELV et le Modem et proche aujourd'hui du président de la région PACA Renaud Muselier, la Une, dont la photo pouvait laisser penser que "La Provence" donnait la parole à des narco-trafiquants, aurait été signalée auprès du ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, précise "Le Monde".

"C'est un bras d'honneur à la République et au boulot de tous ceux qui interviennent dans ces quartiers, forces de l'ordre, travailleurs sociaux, enseignants... ", avait twitté Christophe Madrolle, proche du parti Renaissance.

De son côté, les équipes de Rodolphe Saadé auraient convoqué Gabriel d'Harcourt, le directeur général du groupe La Provence et directeur de la publication, qui avait donné son assentiment avant la validation de la Une la veille au soir. À la suite de cette convocation, il a décidé de mettre à pied et de convoquer pour un entretien préalable au licenciement le directeur de la rédaction, Aurélien Viers, qu'il avait lui-même nommé en janvier 2023.

"Un crachat sur le travail des reporters qui vont sur le terrain"

Au-delà de cette agitation interne, "La Provence" a publié dans le journal de ce vendredi 22 mars 2024 un encart, signé Gabriel d'Harcourt, dans lequel le quotidien "présente ses plus profondes excuses" à ses lecteurs après les "avoir induit en erreur". "En effet, la citation en Une et la photo d'illustration qui l'accompagnait ont pu laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue", est-il notamment indiqué.

"C'est honteux d'analyser cette Une comme un hommage aux dealers. C'est quoi le fond du message ? Qu'il faut suivre la communication présidentielle ? Mais toute la presse a pu se rendre compte que le trafic était revenu à La Castellane", s'insurge, dans "Le Monde", Sophie Manelli. Cette représentante du Syndicat national des journalistes (SNJ) à "La Provence" voit dans le texte publié à la Une du journal comme un "crachat sur le travail des reporters qui vont sur le terrain".

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Réunis ce vendredi 22 mars 2024 en assemblée générale, les salariés du quotidien pourraient décider d'une nouvelle grève*. "Le Figaro" a recueilli quelques témoignages pour résumer leur sentiment : "Si Aurélien Viers reste il est affaibli, s'il part c'est un affront à l'indépendance de la rédaction", s'est insurgée auprès du quotidien une source proche de la rédaction du journal. "Nous avons su en interne que cette Une a déplu à CMA (...) Je pense qu'il y a une volonté de sortir Aurélien Viers parce que les résultats ne sont pas assez bons aux yeux de l'actionnaire", a déduit une autre.

* Mise à jour vendredi 22 mars 2024 à 16h30 : Une grève illimitée ainsi qu'une motion de défiance ont été votés en assemblée générale (129 voix pour sur 163 participants au vote). "Nous demandons l'abandon des sanctions contre Aurélien Viers, et qu'il revienne immédiatement" à son poste, insiste auprès du "Figaro" Audrey Letellier, déléguée syndicale au SNJ. "Ça n'est pas juste 'La Provence' que cela concerne, mais la liberté de la presse en général", ajoute-t-elle. Les journalistes doivent se réunir pour une nouvelle assemblée générale lundi 25 mars 2024 afin de décider de la suite du mouvement.